Portrait enseignant-chercheur
Ces interviews permettent de découvrir le parcours, les recherches et les expériences des enseignants-chercheurs. Elles mettent en valeur leur expertise et leur contribution à la science et à l’enseignement, tout en partageant leur vision sur l’évolution de leur domaine. L’objectif est de valoriser leur travail et d’inspirer d’autres chercheurs et étudiants.
Samir JEMEI
- Professeur des Universités à l’Université Marie et Louis Pasteur
- Vice- Président Université Marie et Louis Pasteur en charge du Rayonnement International, de l’Art, la Culture et la Communication scientifiques
- Directeur-adjoint Département Energie de l’institut Femto-St
- Animateur axe scientifique Systèmes Pile à Combustible
Quel est votre parcours ?
Je suis originaire de Belfort, où j’ai également effectué l’ensemble de mes études. Mon parcours a débuté par un DUT Génie Electrique et Informatique Industrielle (GEII) à l’IUT de Belfort-Montbéliard de l’université de Franche-Comté, obtenu en 1998. J’ai ensuite poursuivi en licence d’ingénierie électrique à l’UFR STGI de l’université de Franche-Comté. A l’époque, le cursus comprenait également une maîtrise et un DEA (Diplôme d’Etudes Approfondies), l’équivalent actuel du master recherche. J’ai suivi le DEA PROTEE (PRocédés et Traitement de l’Energie Electrique), comprenant notamment un stage de 6 mois dans un laboratoire de recherche.
Pourquoi la mobilité internationale est-elle une étape clé de votre parcours ?
Lors de mes études à l’IUT, j’ai eu la chance de partir un semestre en 1998 dans le cadre du programme Erasmus, à Portsmouth, une ville portuaire du sud de l’Angleterre. Cette expérience a été déterminante : découvrir une nouvelle culture, s’immerger dans un autre système éducatif et travailler dans un laboratoire de recherche m’a ouvert l’esprit et donné envie de poursuivre mes études. Sans cette mobilité, je n’aurais probablement pas continué.
J’ai travaillé sur un projet en laboratoire, développant un logiciel pour répertorier les algues marines sur les côtes anglaises. Cela m’a permis de m’imaginer une carrière en recherche, ce qui m’a motivé à viser un bac+5, puis une thèse. À l’époque, il était rare qu’un diplômé d’IUT se dirige vers un doctorat, mais cette voie est devenue plus courante aujourd’hui, et je m’en réjouis.
J’encourage fortement les étudiants à partir en mobilité internationale. Cela enrichit non seulement leur CV, en montrant leur capacité d’adaptation, mais aussi leur perspective personnelle et professionnelle. Grâce à des alliances d’universités européennes comme STARS-EU, nos étudiants ont aujourd’hui de nombreuses opportunités en Europe : Espagne (iles Canaries), les Pays-Bas, la Suède, l’Allemagne, le Portugal, l’Albanie, Pologne ou encore la République tchèque. Il existe aussi des partenariats plus lointains, notamment au Canada ou en Asie.


Bien que la mobilité soit plus difficile à organiser pour les étudiants en alternance ou en première année de BUT, nous travaillons à offrir des solutions adaptées. Par ailleurs, les doctorants, plus matures et avec des projets bien définis, partent régulièrement pour des mobilités de 3 à 6 mois dans des laboratoires à l’international.
Une mobilité, c’est une aventure formatrice, accessible et très enrichissante. Je conseille vivement à tous nos étudiants d’en profiter pour découvrir d’autres horizons, tant personnels que professionnels.
Quelles sont les missions clés d'un enseignant-chercheur aujourd'hui ?
Les missions d’un enseignant-chercheur, si on se réfère au code de l’éducation, sont variées et multiples. Elles se regroupent généralement en trois grandes catégories : l’enseignement, la recherche, et ce qu’on appelle les missions collectives.
L’enseignement
Quand on pense au métier d’enseignant-chercheur, la première chose qui vient en tête, c’est l’enseignement. Et c’est effectivement une partie très importante de nos responsabilités. Mais il faut bien comprendre que l’enseignement ne se limite pas à « donner des cours ». Cela englobe un ensemble d’activités beaucoup plus large.
En premier lieu, il y a bien sûr la préparation et la dispense des cours magistraux (CM), des travaux dirigés (TD) et des travaux pratiques (TP). À cela s’ajoutent des tâches spécifiques, comme l’encadrement des projets des étudiants. Par exemple, dans les IUT, nous avons les SAE (Situation d’Apprentissage et d’Evaluation), qui permettent aux étudiants de relier la théorie à des situations pratiques. Ces projets collaboratifs, souvent en lien avec des problématiques réelles, les plongent dans des démarches innovantes et les préparent au monde professionnel.
Un autre aspect de l’enseignement est la gestion pédagogique. Être responsable d’un parcours de formation implique une coordination d’équipe et un suivi des étudiants. Ce rôle demande une grande organisation et une capacité à écouter les besoins des étudiants comme ceux des enseignants.
En parallèle, je travaille à développer des partenariats industriels ou académiques, notamment autour des thématiques liées à l’hydrogène énergie. Ces collaborations enrichissent les formations en les ancrant dans les problématiques actuelles du monde professionnel.

Depuis la réforme qui a transformé le DUT en BUT, nous avons intégré des dimensions nouvelles, comme la formation par la recherche. Avec un cursus allongé à trois ans, il est désormais possible pour les étudiants de s’investir davantage dans des projets de recherche, que ce soit sous forme de SAE ou de stages en laboratoire. Au niveau master, cette immersion est encore plus poussée : les étudiants participent presque systématiquement à des projets en laboratoire, avec une perspective de thèse.
Enfin, l’enseignement peut avoir une dimension internationale. J’ai eu la chance d’intervenir en Chine, à Pékin et à Xi’an, dans le cadre de partenariats universitaires. Ces expériences m’ont permis d’échanger avec des étudiants et collègues aux perspectives culturelles différentes, ce qui enrichit considérablement ma pratique pédagogique.
La recherche
La deuxième grande mission d’un enseignant-chercheur, c’est la recherche. Et là encore, c’est un domaine très vaste. La recherche, c’est d’abord l’exploration d’un domaine scientifique spécifique. Dans mon cas, je travaille sur l’hydrogène énergie, qui est un sujet d’avenir crucial pour la transition énergétique. Ce travail de recherche repose sur des expérimentations, des analyses, des publications et, surtout, une collaboration constante avec d’autres experts.
Être chercheur, c’est aussi encadrer des doctorants. Il ne s’agit pas seulement de les superviser ; c’est un véritable travail de mentorat. Il faut les aider à structurer leurs idées, à mener leurs expériences, à rédiger leurs articles et, bien sûr, à défendre leur thèse. Ce processus est exigeant, mais il est aussi très gratifiant, car c’est une façon de former la prochaine génération de chercheurs.
Pour mener à bien des projets de recherche, il faut trouver des financements. Et là, cela devient un véritable exercice de stratégie. Il faut monter des dossiers solides, convaincre des jurys régionaux, nationaux ou européens, et développer des partenariats. Par exemple, les appels à projets européens sont une excellente opportunité, mais la concurrence est rude, et il faut souvent s’appuyer sur un réseau établi pour avoir une chance d’être sélectionné.
Enfin, faire de la recherche, c’est aussi communiquer ses résultats. Cela passe par la publication d’articles scientifiques dans des revues spécialisées. C’est indispensable pour se faire connaître dans son domaine et pour contribuer à l’avancement des connaissances. Mais cela ne s’arrête pas là. On participe également à des conférences, où on peut échanger directement avec d’autres chercheurs et tisser des liens pour de futures collaborations.


Une partie de notre travail consiste aussi à rendre la science accessible. Cela peut prendre la forme de vulgarisation, que ce soit à travers des interventions auprès du grand public ou des événements comme la fête de la science. Par exemple, expliquer les enjeux de l’hydrogène énergie à des enfants ou à des élus locaux est une façon de sensibiliser à l’importance de la recherche.
Les missions collectives
D’abord, au sein de l’université, ces missions peuvent inclure la participation à diverses instances de gouvernance (CI, CR, CFVU, CAC, CA …)[1] ou à des fonctions spécifiques (Vice-Président, chargé de mission, référent, …). Par ailleurs, d’autres missions dans les composantes de l’établissement sont possibles (direction de composante, chef de département, directeur des études, chargé de mission, …) ou encore dans les laboratoires de recherche (direction, responsable d’équipe, animateur d’axe scientifique, …). Toutes ces fonctions restent exigeantes et chronophages. Ces rôles demandent une forte implication, car ils permettent d’assurer la bonne gouvernance de nos structures, de coordonner les actions et d’accompagner nos collègues dans leurs projets. Ces responsabilités sont fondamentales pour garantir une dynamique collective au sein de l’établissement.
À un niveau national, j’ai la chance de participer à des missions structurantes, comme siéger au Conseil national des universités (CNU) où j’ai été élu. Dans ma section, consacrée au génie électrique, nous sommes 90 à évaluer les carrières de 1 500 enseignants-chercheurs. Chaque année, nous consacrons cinq semaines à examiner des dossiers concernant l’avancement de grade, le régime indemnitaire, ou encore le suivi de carrière. C’est un travail minutieux, mais indispensable pour maintenir l’excellence académique et accompagner nos pairs. Nous sommes également sollicités pour notre expertise dans l’évaluation de projets soumis à des organismes comme l’Agence nationale de la recherche (ANR), où nous contribuons à sélectionner les propositions les plus prometteuses.

Une mission qui me tient particulièrement à cœur est la vulgarisation scientifique, une activité qui consiste à rendre nos travaux accessibles et compréhensibles pour tous, quel que soit l’âge ou le niveau de connaissance. Par exemple, dans le cadre du programme Une classe, un chercheur, je me rends dans des lycées pour expliquer nos recherches et présenter les formations de l’université, dans l’espoir d’attirer de futurs étudiants. J’ai également participé au programme ASTEP lorsque j’enseignais à l’UFR-STGI. J’intervenais en école primaire auprès d’enfants de 5 à 10 ans. Ces moments sont uniques, car les enfants posent des questions pleines d’imagination qui nous obligent à sortir des cadres traditionnels.
Nous organisons aussi des événements destinés à un public plus large, comme la Fête de la Science ou l’Université ouverte. Récemment, j’ai donné une conférence devant un public âgé, composé d’anciens ingénieurs et techniciens, qui posaient des questions souvent très pertinentes. Ces échanges permettent non seulement de partager nos connaissances, mais aussi de confronter nos idées à des perspectives nouvelles et enrichissantes.
Un exemple marquant de vulgarisation a été le Forum Hydrogène Business for Climate en 2023 à Belfort, où nous avons accueilli 500 élèves dans les jardins de la préfecture. Nous leur avons présenté nos projets autour de l’hydrogène, un vecteur énergétique encore mal connue et souvent perçue comme dangereuse par le grand public. Grâce à des activités ludiques, comme des maquettes en Lego, nous avons démontré que l’hydrogène, bien maîtrisé, est un vecteur énergétique sûr et prometteur. Ces actions de vulgarisation ne s’adressent pas uniquement au public scolaire. Nous devons également sensibiliser les décideurs politiques, dont le soutien est crucial pour développer nos projets, comme cela a été le cas à Belfort avec l’installation d’une station hydrogène et l’achat de bus hydrogène.
Enfin, la vulgarisation permet d’ouvrir des vocations. En rendant la science accessible, nous pouvons inspirer des jeunes qui, peut-être, se souviendront des démonstrations et choisiront de poursuivre des études dans ce domaine. Ces moments sont extrêmement gratifiants, car ils montrent que notre travail a un impact direct sur la société et sur les générations futures.

En résumé, ces missions collectives enrichissent profondément mon rôle d’enseignant-chercheur. Elles permettent de fédérer nos institutions, de diffuser nos connaissances auprès de publics variés, et de contribuer à des enjeux sociétaux majeurs. Qu’il s’agisse de gouvernance, d’expertise ou de vulgarisation, chacune de ces responsabilités est une opportunité de transmettre, d’innover et de créer du lien entre le monde académique et la société.
[1] CI : Conseil d’Institut – CR : Conseil de la Recherche – CFVU : Conseil de la Formation et de la Vie Universitaire – CAC : Conseil Académique – CA: Conseil Académique